Alors que je m’élève au travers des gorges grâce au téléphérique, mes yeux s’attardent sur les formations rocheuses hasardeuses, où la danse précaire des végétaux pour s’accrocher et pousser est d’une subtilité incroyable. Mais si frôler les roches était déjà fascinant, le meilleur restait encore à venir à la fin de l’ascension. La vue des gorges de Kankakei a la réputation d’être parmi les plus emblématiques du Japon, et j’avais hâte de le vérifier.

Les gorges de Kankakei se situent entre les sommets du mont Hoshigajo et le plateau d’Utsukushi-no-hara sur l’île de Shodoshima, la deuxième plus grande de la mer intérieure de Seto. À 813 mètres d’altitude, le premier n’est pas seulement le point le plus haut de l’île, il est aussi le plus haut de toute la zone de la mer. La vue plonge dans les gorges, et se poursuit sur la baie d’Uchinomi avant de s’étendre à l’horizon sur les confettis que forment les îles de Setouchi. Un jour clair, il est possible de voir le Shikoku au loin, la quatrième des grandes îles de l’archipel japonais.

Mais si la vue sur la mer intérieure vaut déjà la peine de monter, il ne faut pas oublier de descendre le regard vers les gorges et leurs merveilles naturelles.

Avec plus de mille variétés de plantes, dont de nombreuses espèces vernaculaires, les gorges sont une destination parfaite pour les curieux de botanique. Cependant, les vedettes sont bien les érables du Japon, qui explosent de rouge, de jaune et d’orange à l’automne. Kankakei est un candidat sérieux si vous rechercher une destination automnale dans l’archipel.

Mais il ne faut pas sous-estimer les autres saisons, que ce soit celle des cerisiers au printemps, le vert profond de l’été ou le grand air de l’hiver, qui attirent les visiteurs toute l’année. Les gorges de Kankakei est donc une destination des quatre saisons. Cette beauté perpétuelle a permis au site d’être classé officiellement l’une des trois plus belles gorges du Japon, et d’obtenir une étoile au Guide Vert Michelin.

La beauté célébrée de Kankakei ne s’est pas faite en un jour. Il y a 15 millions d’années, le terrain des gorges hébergeait un volcan, surmonté d’un lac. Puis en l’espace de deux millions d’années, l’activité volcanique intense a éjecté des quantités massives de magma, produisant du granit et formant ce territoire vallonné.

Ajoutez à cela plusieurs millions d’années de vent et de pluie, s’abattant sans distinction sur les différents types de roches, et vous obtiendrez ce paysage complexe et somptueux, l’une des plus belles créations de la nature. Une beauté réputée depuis longtemps dans l’archipel.

Le Nihon Shoki, les plus anciennes chroniques du Japon, écrites au VIIIe siècle, s’attardent déjà sur Kantakei, décrivant l’ascension sans aide de l’un des premiers empereurs, afin de rendre hommage à la beauté spectaculaire des gorges. Mais au-delà du côté sacré de l’ascension, l’Empereur venait aussi s’entraîner à la fauconnerie, attiré par la nature riche du site. Le meilleur endroit pour pratiquer étant incontestablement Takatoritenbodai, ce qui signifie simplement « le lieu de la fauconnerie ».

La beauté sacrée des gorges a également été appréciée à l’époque moderne. Notamment avec les efforts locaux de préservation pour maintenir ce sanctuaire de nature quand le Japon s’est précipité dans la modernité. Finalement, en 1934, les gorges sont devenues le point d’orgue du parc national de Setonaikai, lui-même le premier du genre dans un archipel aussi naturellement riche.

Aujourd’hui, la façon la plus rapide et la plus facile d’apprécier cette beauté est bien d’emprunter le téléphérique. Plusieurs points de vue sont faciles d’accès à l’arrivée, et l’ascension rapide, au cœur des gorges, permet aussi d’en découvrir plusieurs aspects les plus spectaculaires. Pour les plus motivés, il est également possible de monter à pied, en suivant l’un des itinéraires de randonnée.

Le téléphérique offre des perspectives intéressantes, mais marcher vous permettra également de vous arrêter pour découvrir plusieurs merveilles de la nature. Dont Sekimon (le pont de pierre) et le rocher Matsutake-iwa (le champignon Matsutake). La marche autorise enfin la découverte de différents sites religieux, tout au long de l’ascension.

Après avoir apprécié la vue et pris assez de photos depuis les trois principaux points de vue, je décidais de m’essayer à kawaranage, le challenge qui consiste à lancer depuis le point de vue un petit disque d’argile à travers un anneau de pierre suspendu plus loin. La légende explique que celui qui réussit son lancée verra son vœu réalisé. Ce qui est loin d’être mon cas, n’ayant jamais réussi à m’en approcher… Heureusement pour moi, je ne comptais pas dessus pour réaliser mon vœu le plus immédiat – me rassasier d’un bon déjeuner – car les restaurateurs de Kankakei étaient naturellement à même de m’en proposer un.

Texte de Steve Jarvis et photographies de Steve Jarvis et Kankakei