Art & Culture

Kagura Monzen Tojimura – Découvrir un théâtre ancien dans un village préservé

Kagura Monzen Tojimura – Découvrir un théâtre ancien dans un village préservé

Trois samouraïs rencontrent trois femmes âgées au niveau d’un col.

Le style fin des années 1950 du Kagura Monzen Tojimura capture à la perfection l'ambiance de l'époque qui a vu la naissance du kagura moderne.

Les boutiques traditionnelles le long de la rue.

La danse des démons et des samouraïs devrait vous hypnotiser.

De nombreux dragons sont également présents dans les représentations de kagura.

Le community space du Kagura Monzen Tojimura possède un espace dédié aux enfants, ainsi que des ateliers qui vous permettront de fabriquer votre propre masque de kagura.

Les week-ends, il est également possible de passer en coulisse pour essayer les costumes du kagura, qui pèsent près de 20 kilos !)

Un bain dans le onsen est parfait pour se détendre entre deux représentations !

« Pourquoi ne pas partager ensemble une coupe de saké ? », demandent alors les trois vieilles, en s’inclinant respectueusement devant les splendides guerriers.

« Nous serions honorés », répond le chef des trois.

Les trois femmes sortent alors des gourdes de vin de riz pour divertir leurs hôtes, tout en dansant d’un samouraï à l’autre en remplissant leurs coupes.

Mais les braves guerriers s’en fatiguent vite – trop, apparemment, et bien trop tôt – et plongent rapidement dans le sommeil, pendant qu’une brume blanche enveloppe la scène.

Dans un éclair, les trois vieilles dansantes se transforment en démon, leurs visages monstrueux flottant dans le brouillard au-dessus de nos héros malheureux, pendant que la flûte entame un air désespéré et que les percussions s’emportent frénétiquement.

Voici le kagura, une forme millénaire de récit oral, qui comprend également musique et danse, joué à l’origine dans les sanctuaires shinto, pas pour les pèlerins mais bien pour les divinités elles-mêmes.

Désormais, les samouraïs, dragons et démons du kagura se produisent également sur les scènes laïques, à l’image de celle du Kagura Monzen Tojimura, un village de vacances de la préfecture de Hiroshima, où des représentations de kagura ont lieu toutes l’année.

Construit en 1998 comme un village rétro à l’ambiance des années 1955-1960, Kagura Monzen Tojimura rappelle l’âge d’or de la renaissance japonaise, à l’après-guerre. Une époque à l’économie qui s’est finalement stabilisée et aux villes reconstruites, durant laquelle la vie reprenait son cours. Et qui reste pour beaucoup une période à laquelle s’attache une nostalgie tendre.

Mais vous devez vous demander, arrivés jusque-là, ce que l’après-guerre et la danse sacrée ont à voir.

La réponse vous étonnera, car le lien est réel.

Alors que le kagura a changé de nombreuses fois pendant sa longue histoire, l’un des plus grands virages a eu lieu quand les forces d’occupation américaines, après la défaite japonaise de 1945, ont banni la tradition. Car après tout, le kagura était le vecteur de légendes shinto impliquant une déférence aux dieux, et par extension à leur descendant – l’Empereur.

Logiquement, les forces d’occupation ne souhaitaient rien de tel.

En 1947, le proviseur d’un collège d’Akitakata, dans la préfecture de Hiroshima, créa donc le shinmai (littéralement « nouvelle danse ») kagura. Les documents soumis par Junzo Sasaki aux forces d’occupations, pour prouver que ce nouveau théâtre n’était bien que du théâtre, sont exposés dans le musée du Kagura Monzen Tojimura.

Alors, qu’est-ce qui changea dans ce kagura d’un nouveau genre ?

« Honnêtement, pas grand-chose, reconnaît Masakazu Masuda, directeur exécutif du Kagura Monzen Tojimura. Sasaki augmenta le tempo (certainement plus une tentative de voiler les mouvements sacrés qu’autre chose), dirigea les mouvements dans une expression un peu plus dramatique, et se concentra sur les histoires du folklore plutôt que sur les légendes shinto – mais à part ces détails, le nouveau kagura était essentiellement une copie de l’ancien. »

Ce qui permis dès lors au kagura de subsister, comme performance « théâtrale ». Mais dans les faits, la plupart de ces contes du folklore de la danse sécularisée se sont révélés être des légendes shinto aux noms changés, pour respecter les divinités.

Quand je lui demande si le shinmai kagura est une performance jouée pour ces divinités shinto, ou désormais pour nous autres, mortels, Masuda se montre hésitant.

« C’est difficile à dire… De nos jours, il est possible que le genre devienne une performance théâtrale classique. Mais, cependant, aucun des deux aspects n’est exclusif – et ne l’a jamais été. »

En raison de son affiliation historique, le Kagura Monzen Tojimura ne présente que du shinmai kagura, qui se concentre sur l’action rapide, les changements inattendus des masques et même, parfois, des effets pyrotechniques.

« Notre objectif depuis le départ était de promouvoir ce style de kagura. Mais quand nous avons commencé il y a 20 ans, le genre n’était pas très populaire. Le kagura en lui-même n’était qu’une tradition locale de festivals des moissons. Nous étions embêtés car la danse toute seule n’aurait pas forcément attiré les spectateurs. D’où l’idée de ce village rétro. »

Ironiquement, le plus gros challenge rencontré aujourd’hui par le Kagura Monzen Tojimura est plutôt l’inverse.

« Si le problème, il y a 20 ans, était que le kagura n’était pas assez populaire, il l’est presque beaucoup trop aujourd’hui. Les gens n’ont plus besoin de voyager jusqu’au village thématique de vacances pour le voir : dans tout l’ouest de Honshu, il y a des représentations dans leurs propres villes. »

Mais d’après ce que j’ai pu voir, le Kagura Monzen Tojimura a bien assez en réserve pour satisfaire un flot régulier de spectateurs.

Parmi les nombreux établissements à thème du village, tous rétro, vous trouverez une maison de thé, un café, un marchand de bonbons, une boutique de jouets et un onsen – les bains de source chaude japonais. Le restaurant offre, de son côté, des poissons frais pêchés localement, de concert avec des gibiers accompagnés de légumes de la campagne environnante.

De plus, des ryokan, les auberges traditionnelles, sont aussi disponibles pour passer la nuit au village, toujours en suivant une note rétro. Compter 10 000 yens la nuit (environ 80€), avec le dîner et le déjeuner inclus.

Et, cerise sur le gâteau, le Kagura Monzen Tojimura possède deux scènes de kagura, l’une à l’intérieur dans le style d’une arène sumo, et la seconde à l’extérieur sous une gigantesque tente de festival. Cette dernière, surnommée « Kagura Dome », se comporte comme un espace traditionnel shinto, à l’image de ce qui se fait pendant les festivals. Ce qui permet une immersion des plus authentiques et vivantes du pays.

En fait, les représentations du Kagura Monzen Tojimura sont carrément impressionnantes. Bien qu’étonnamment, dans un établissement pourtant renommé, elles ne soient pas le fait d’une « troupe professionnelle ». Les acteurs de kagura, tous sans exception, ont un autre travail en journée et se retrouvent pour répéter toutes les semaines. C’est un travail de plaisir et de passion, expliquant que les pièces ne soient jouées que les vendredis, samedis et dimanches au village – quand les acteurs ne travaillent pas.

Le Kagura Monzen Tojimura propose néanmoins des projections de spectacles filmés en semaine, mais c’est la représentation live qui vous laissera sans voix.

Dans le Kagura Dome, le public peut manger et boire de la bière ou du saké, achetés dans des stands directement sur site – et, apparemment, peuvent même interagir avec les acteurs pendant le show. J’ai personnellement vu un homme âgé essayer de ressusciter un héros blessé, après une bataille intense, en montant sur scène pour lui tendre sa bière.

« Il faut voir du kagura en étant assis sur des tatamis, en mangeant, buvant et rigolant, entre amis ou en famille », conclut Masuda. « Tel est le vrai kagura. »

Texte et photographies de Peter Chordas

DESTINATION LIÉE

Hiroshima

Hiroshima est la ville centrale des régions de Chugoku. La préfecture de Hiroshima est dotée du Sanctuaire Itsukushima-jinja, avec son élégant portique torii se dressant dans la mer ; du Dôme de la bombe atomique qui transmet l’importance de la paix et de nombreuses autres attractions qui méritent le détour. Elle compte également des objets d’artisanat célèbres dans le monde entier, comme les pinceaux de Kumano.