Aventure & Experience

Teinture indigo : immersion d'une heure dans l'histoire japonaise

Teinture indigo : immersion d'une heure dans l'histoire japonaise

C’est d’abord l’odeur. L’odeur forte de la fermentation – une émanation âcre de chien mouillé alors que les employés du musée d’histoire d’Aizumi à Aizumi-cho immergent des faisceaux de fils dans de grandes cuves d’indigo. Les voyages sont souvent une affaire d’expérience et d’immersion, et je m’apprête à plonger les mains dans cet artisanat traditionnel de Setouchi.

L'indigo est préparé au Japon et nécessite un travail quotidien. Les employés du musée d'Aizumi rajoute au mélange sucre et saké – tout en vérifiant son état.

Les couleurs des bulles indiquent l'âge et la condition du mélange.

Je m'apprête à créer un motif shibori en utilisant des planches de bois pour empêcher une teinture uniforme.

Le résultat du pliage et de l'utilisation des planchettes est un beau motif clair qui se détache du bleu de l'étoffe.

Mettre le linge à sécher.

Avant de rentrer, ne pas oublier de passer à la boutique pour admirer les magnifiques pièces teintes par les maîtres.

L’indigo est l’une des plus anciennes formes de teintures que l’on puisse trouver, et son histoire japonaise trouve ses origines il y a 1200 ans. Une histoire bien vivante, puisque l’indigo a trouvé sa place dans le logo des prochains Jeux Olympiques, organisés à Tokyo en 2020.

Le musée d’histoire d’Aizumi, souvent simplement appelé Ai no yakata, est à la fois un ensemble de collections dédiées à cet artisanat, en même temps que sa célébration quotidienne. Bien que l’entrée soit désormais moderne, les ateliers, les salles d’exposition, ainsi que le petit musée en lui-même, se déploient dans des bâtiments de plus de 200 ans, très bien conservés. Dans la cour, des mannequins de cire à taille humaine sont figés dans une récolte d’indigo telle qu’elle était opérée pendant les siècles passés – pendant qu’à l’intérieur tout un ensemble de dioramas détaillent les différentes étapes de la teinture en elle-même.

L’atelier est un lieu vivant, même si je ne suis finalement que le seul participant cet après-midi-là. Le musée est un carrefour pour les étudiants et les professeurs de tout le Japon pour apprendre et exposer leur travail, et une exposition montre les réalisations des écoliers locaux. Une grande table de béton occupe le centre de l’espace, autour de laquelle un groupe de femmes trempent et essorent des faisceaux de fils. Un homme plus âgé encadre le travail en cours, habillé des pieds à la tête de vêtements bleus : jeans, veste et polo, tout est teint à l’indigo. Il nous présente finalement une veste happi aux couleurs des Hanshin Tigers, l’équipe de baseball de Hyogo.

Alors que je m’apprête à expérimenter une méthode de shibori relativement simple, où les plis de mon étoffe vont empêcher la teinture de la pénétrer de façon unie, les motifs les plus compliqués m’apparaissent sous un nouveau jour. Bien plus de minutie est nécessaire pour les apposer sur les kimonos, les écharpes ou même des surfaces de bois, avec bien plus d’instruments et de la colle de riz – ce que je viens tout juste d’observer dans le musée d’Aizumi. Le professeur me montre fièrement les photos du créateur du logo des JO, passé dans cette même pièce, ainsi que les pochoirs spéciaux créés à cette occasion.

Les calligraphies qu’il me désigne aux quatre coins de l’atelier sont les traces du passage de teinturiers célèbres depuis plusieurs siècles. Quand, d’après ce qu’il m’apprend, l’indigo était une couleur très martiale dans l’archipel : les pièces intérieures des armures étaient alors teintes à l’indigo, pour bénéficier de ses propriétés antitranspirantes et médicinales. Avant que, termine mon professeur d’un jour, son usage ne se répande tellement pendant l’ère Edo que l’indigo ne se retrouve partout, jusqu’au uniforme des postiers et des cheminots.

Une autre professeure se joint à nous pour me montrer comment plier ma serviette, de façon très origami, avant le nouer fermement entre deux planchettes étroites, elles-mêmes tenues par un élastique.

J’enlève mes gants pendant qu’elle jauge les cuves d’un œil expert, soulevant successivement les couvercles avant de s’arrêter devant l’une d’elle. « Celle-ci, ce sera la meilleure. »

« Comment pouvez-vous le dire ? » Je demande.

« Par la couleur des bulles », m’explique-t-elle. Ce qui me laisse pantois, tant je n’arrive pas à discerner de différences.

La cuve est chaude pendant que j’y émerge mon tissu pour une minute – précisément chronométrée avec un minuteur de cuisine. Sorti de l’eau, ma serviette m’apparaît verte.

« Dépliez-la, et laissez-la prendre l’air », continue l’experte. Ce qui permettra à l’indigo de s’oxyder, faisant ressortir son bleu. J’immerge ma serviette deux fois de plus. Ce qui permet, après cet ultime rinçage à l’eau claire, d’apprécier finalement le bleu subtil, souligné par une double arche blanche qui s’étend autour de deux coins opposés.

Je suspends ma serviette dehors pour qu’elle sèche – ce qui permet finalement d’apprécier la scène à laquelle j’assiste, avec ces femmes qui répètent des gestes anciens. La chaude lumière du soleil de fin de journée embrasse les murs de bois sombre et les tuiles de céramique, et je ne fais même plus attention à l’odeur âcre qui imprègne les lieux. Pour un moment, je suis plongé dans un passé indigo.

Texte de Felicity Tillack et photographies de Jason Haider

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