Art & Culture

Honjima : une île de la mer intérieure de Seto où l’art puise son inspiration dans l’histoire

Honjima : une île de la mer intérieure de Seto où l’art puise son inspiration dans l’histoire

En embarquant à bord d’un ferry à Marugame — un port situé dans la préfecture de Kagawa, sur l’île de Shikoku — en direction de l’île de Honjima (本島), je n’avais qu’une idée très vague de ce qui m’y attendait. D’autres îles de la mer intérieure de Seto dans lesquelles se déroule le célèbre festival d’art contemporain de la région, la Triennale de Setouchi, se sont faites connaître dans le monde entier à travers des images devenues iconiques : qui n’a pas déjà vu la Yellow Pumpkin (la citrouille jaune) de Yayoi Kusama, devenue le symbole officieux de l’île de Naoshima ? Mais Honjima… même mes amis japonais m’ont avoué n’avoir aucune idée de ce que je pourrais y trouver. Et quel plaisir de s’embarquer à la découverte d’une île dont on ne sait pas quoi attendre !

À vrai dire, Honjima est une île si intéressante que c’est un véritable mystère pour moi qu’elle soit (encore) si mal connue. C’est ce qu’on serait tenté d’appeler un “trésor caché” : ma balade à vélo m’a menée d’un quartier historique aux ruelles sinueuses à des œuvres d’art contemporain inspirées par l’histoire locale, le tout en longeant la mer intérieure et en profitant d’une vue imprenable sur le Grand pont de Seto qui enjambe la mer pour relier les préfectures d’Okayama et de Kagawa.

Le quartier historique de Kasajima, témoin du passé glorieux des îles Shiwaku

En débarquant, j’ai tout de suite loué un vélo pour me rendre dans le quartier historique de Kasajima (笠島集落), à un peu plus de 2 km du port, via une route agréable où les voitures sont rares. Au bout d’une dizaine de minutes, j’aperçois le quartier qui apparaît légèrement en contrebas, niché entre des collines et protégé par les brise-lames de son port.

Honjima est la plus peuplée des îles Shiwaku (塩飽諸島), un archipel de 28 îles à cheval entre les préfectures de Kagawa et d’Okayama. Si c’est aujourd’hui une île paisible d’environ 280 habitants, elle comptait quelque 2000 âmes durant l’époque d’Edo (1603-1868), et ses ruelles aujourd’hui si calmes bouillonnaient d'activité.

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Les rues de Kasajima sont bordées de maisons datant pour la plupart de l’ère d’Edo.

Je vais tenter de résumer en quelques mots les grandes périodes de l’histoire de Honjima. Durant l’époque Sengoku (l’époque des “provinces en guerre”, du milieu du XVe siècle à la fin du XVIe siècle) l’île servait de base à la Shiwaku Suigun — une force navale dont les membres étaient parfois qualifiés de pirates ou de “samouraïs des mers”. Dès la fin du XVIe siècle, la Shiwaku Suigun est chargée de la gouvernance des îles Shiwaku, et Honjima devient la capitale administrative de ce petit archipel. Au début de la période Edo (1603-1868), l'île est une importante plateforme du commerce maritime, avant que les rapports de pouvoir ne changent de nouveau au début du XVIIIe siècle, forçant les habitants à se reconvertir principalement dans la construction navale, puis à utiliser leurs talents de charpentiers pour la construction de bâtiments bien au-delà de l’île. Cette excellence en matière de charpenterie n’est sans doute pas étrangère à la préservation exceptionnelle du quartier historique de Kasajima, classé depuis 1985.

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Des livres et documents anciens, témoins de l’histoire de Honjima, sont exposés aux archives dans le quartier historique de Kasajima.

Le quartier historique compte une centaine de bâtiments, datant pour la plupart de l’ère d’Edo, qui bordent des ruelles pavées et sinueuses, typiques d’une ville fortifiée. Trois d’entre eux peuvent être visités.

Monsieur Ishii m’accueille dans le premier de ces bâtiments, le Centre de préservation de Kasashima Machinami (笠島まち並み保存センター), installé dans l’ancienne demeure d’une famille de notables locaux — probablement celle d’un des chefs de la Shiwaku Suigun. C’est avec passion qu’il m’en fait découvrir chaque recoin, du jardin au grenier, tout en me donnant de nombreux détails sur sa construction. Les objets qui y sont exposés rivalisent d’ingéniosité : un rail “soroban” (boulier) permettant de faire coulisser sans peine une lourde porte, un bento pliable, un “anka” (行火、あんか, sorte de brasero portatif) équipé d’un gyroscope pour éviter les incendies à bord des bateaux, et de nombreux autres trésors témoin d’une époque faste, et du génie local. Si vous parlez japonais, vous pourrez recueillir ici des anecdotes passionnantes sur Honjima et les îles Shiwaku, que ce soit sur les grands événements historiques, ou sur la vie quotidienne des habitants le long des différentes époques.

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L’un des points d’intérêt du bâtiment est son puits, installé dans une cour couverte.

Les deux autres bâtiments sont en accès libre. Une maquette du village accompagnée d’explications sur les techniques de construction locales est exposée dans le Fureai no yakata (ふれあいの館 — le centre communautaire), tandis que l’on peut voir des livres et documents anciens dans le centre des archives (笠島まち並み保存センター文書館).

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Une maquette du quartier de Kasajima, tel qu’il était durant l’époque d’Edo, est exposée dans le centre communautaire.

Panorama sur le Grand pont de Seto depuis la colline de Tomiyama

Après avoir exploré les ruelles de Kasajima, je me dirige vers le sanctuaire Onoue-jinja (尾上神社), d’où part un sentier qui grimpe jusqu’au sommet de la colline de Tomiyama (遠見山), qui domine l’île du haut de ses 101 mètres. La montée prend une dizaine de minutes et débouche sur un panorama impressionnant qui permet d’admirer la totalité du Grand pont de Seto (Seto O-hashi, 瀬戸大橋), long de 13,1 km, qui relie les îles de Honshu et Shikoku. Les amateurs peuvent à loisir y observer les 6 parties distinctes de l’ouvrage, tandis que les voyageurs plus attirés par la beauté de la nature que par celle du génie civil profiteront d’une vue dégagée sur la mer intérieure de Seto et ses nombreuses îles.

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Au sommet du mont Tomiyama, le panorama sur le Grand pont de Seto permet de voir la totalité de l’ouvrage.

Plutôt que de redescendre par le même chemin vers le quartier historique, il est possible de continuer plus avant. Le sentier redescend vers Kasajima par l’autre versant, en passant par un autre observatoire.

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Le chemin de randonnée est ombragé et on y trouve des bancs pour une pause bienvenue après la montée.

Une île où les œuvres d’art prennent racine dans l’histoire pour ouvrir une nouvelle ère

Comme sur d’autres îles impliquées dans la Triennale de Setouchi, les installations d’art contemporain que l’on peut découvrir à Honjima sont des œuvres in situ, conçues avec une conscience aiguë de l’histoire et de la culture locales. Elles semblent ainsi trouver naturellement leur place dans le paysage.

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L’œuvre Vertrek [Departure] d’Akira Ishii, est installée sur le port, face à la mer.

On y trouve des structures de bateaux faisant face à la mer, en écho aux forces maritimes et aux chantiers navals d’antan (Vertrek [Departure] d’Akira Ishii, Bottom Sky d’Alexander Ponomarev) ; un bâtiment de terre crue surmonté d’une haute cheminée rend hommage aux charpentiers des Shiwaku (Zenkonyu x Tamping Earth de Tadashi Saito × Shiwaku Carpenters) ; ou encore des bas-reliefs de plâtre coloré “kote-e” (こて絵) disséminés dans l’île (A Project of Signboards of Shikkui and Kote de Kazuko Murao), qui arborent des motifs liés à la vie locale et entrent en résonance avec la représentation de Daikokuten (大黒天), l’une des sept divinités du bonheur, que l’on trouve sur un bâtiment ancien en remontant la rue principale de Kasajima vers le mont Tomiyama. Cette dernière œuvre est celle qui a le plus retenu mon attention, tant pour son esthétique naïve et colorée que pour son côté “chasse au trésor”, qui incite à explorer l’île dans ses moindres recoins, en observant attentivement les bâtiments.

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Les bas-reliefs koto-e de l’œuvre A Project of Signboards of Shikkui and Kote de Kazuko Murao sont exposés sur des bâtiments disséminés sur l’île de Honjima.

Si ces œuvres d’art installées dans l’espace public sont accessibles toute l’année, d’autres ne le sont qu’à certaines périodes. Je vous conseille donc de consulter le calendrier sur le site de la Triennale d’Art de Setouchi avant votre visite. Pour les amateurs d’art contemporain, le festival est bien entendu le moment idéal pour visiter Honjima et les autres “îles d’art” de Setouchi. La prochaine édition de la Triennale est prévue en 2022 et s’étend habituellement sur trois sessions : printemps, été et automne.

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Les trois bateaux de l’œuvre Bottom Sky d’Alexander Ponomarev font face à la mer, près du quartier historique de Kasajima.

Faire le tour de Honjima à vélo

Ma visite sur Honjima a duré trois heures. Cela peut sembler suffisant pour visiter une île de 6,74 km², et j’ai effectivement pu visiter le quartier historique de Kasajima et découvrir les principales œuvres d’art de Honjima. C’est pourtant avec la certitude que j’y reviendrai pour explorer cette île plus en profondeur que je montai dans le bateau pour la quitter.

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L’œuvre Zenkonyu x Tamping Earth de Tadashi Saito×Shiwaku se dresse au bord de la route entre le port et Kasajima.

Car lorsqu’on a plus de temps à consacrer à la visite de cette île, on peut faire le tour de Honjima à vélo. Il faut environ 2 heures pour parcourir les 13,3 km de route et revenir au point de départ, mais bien entendu 2 heures si on roule sans faire d’arrêts. Ce tour de l’île peut en fait occuper une journée entière, en faisant des pauses pour découvrir les nombreux bâtiments historiques, temples et sanctuaires répartis sur Honjima, les œuvres d’art (concentrées autour du port et du quartier historique de Kasajima), admirer le paysage, et, si la saison le permet, piquer une tête ou simplement bronzer sur l’une des deux plages où la baignade est autorisée.

Des vélos sont disponibles à la location sur le port. Pour faire le tour de l’île, il est conseillé de choisir un vélo électrique (1500 yens), car les autres vélos de location (500 yens) ne sont pas des vélos de route mais plutôt des “mamachari”, des vélos de ville qui peuvent s’avérer lourds dans les montées.

Comment se rendre à Honjima ?

Honjima est accessible en bateau depuis le port de Marugame. Comptez 20 ou 35 minutes selon qu’il s’agisse d’un bateau express ou d’un ferry.

Horaires et tarifs sur le site Internet de Honjima Kisen (en japonais).

Le port est situé à moins de 10 minutes de marche de la gare de Marugame (丸亀駅), accessible depuis la gare d’Okayama en 45 minutes et depuis la gare de Takamatsu en 25 minutes par les lignes de train Japan Railway (JR).

Okayama étant située sur la ligne du Tokaido-Sanyo Shinkansen, l’accès à Marugame est rapide depuis les grandes villes les plus proches : le trajet depuis Kyoto ou Osaka est d’environ 2 heures, et seulement de 1h30 depuis Hiroshima.

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La traversée en ferry entre le port de Marugame et celui de Honjima permet d’admirer les paysages de la mer intérieure de Seto.

Le passé glorieux de Honjima confère à l’île une grande richesse historique et culturelle, mais victime, comme nombre des îles de la mer intérieure de Seto, d’un déclin de son activité et de sa population. Elle connaît cependant aujourd’hui une renaissance par l’art grâce son implication dans la Triennale de Setouchi, qui la dote édition après édition de nouvelles œuvres d’art contemporain, dont certaines restent accessibles librement tout au long de l’année. Honjima se parcourt à vélo, pour découvrir son histoire et ses installations artistiques, ou tout simplement pour flâner en profitant de ses paysages et de ses plages.

Texte & photographies: Clémentine Cintré

DESTINATION LIÉE

Kagawa

C’est une région avec de nombreuses îles, dont Naoshima et Teshima, célèbres en matière d’art. C’est également l’endroit où se trouve le superbe Jardin de Ritsurin. Kagawa est en outre connue pour ses nouilles Sanuki udon, si renommées qu’elles attirent des touristes de tout le Japon. Cette préfecture est même parfois surnommée « la préfecture udon ».